vendredi 14 août 2015

La Rochelle à l'heure américaine 1950 - 1964


Véritable tête de pont du dispositif américain en Europe pendant la guerre froide, La Rochelle accueillit un des plus importants contingents américains en France au début des années cinquante. La ville, forte de son port en eau profonde (La Pallice) épargné par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale et doté d’un môle d’escale, était en effet une place stratégique. Environnée de plages propices à des débarquements qui n’auraient pas manqué d’avoir lieu en cas de guerre entre l’OTAN et les pays du Pacte de Varsovie, La Rochelle devient, dès la fin de 1950 la principale porte d’entrée logistique de l’US Army en Europe. Cet épisode méconnu méritait bien un ouvrage, et on peut saluer l’initiative et le travail des trois auteurs qui furent directement concernés par la présence américaine en Charente.

La ligne de communication US (voie ferrée, pipe-line, dépôts..) mise en place au terme de la Seconde Guerre mondiale et qui partait de Bremerhaven (port allemand sur la mer du Nord) pour ravitailler la zone d’occupation américaine en Allemagne (Sud de la RFA) fut jugée trop vulnérable par les autorités américaines au début des années cinquante. Les tensions se multipliant entre la Russie et les Etats-Unis, il apparut flagrant que cette ligne de communication était bien trop proche de l’Allemagne de l’Est, occupée par l’armée rouge, et qu’elle risquait de rapidement tomber aux mains de l’ennemi en cas de conflit. Il fallait donc un moyen plus sûr de ravitailler les troupes et bases aériennes américaines implantées dans le Sud-Ouest de l’Allemagne.
La France, alliée historique des Etats-Unis, membre de l’OTAN et dotée de nombreux ports ouverts sur la façade Atlantique était toute désignée pour accueillir cette nouvelle ligne de communication.

Avec cet ouvrage centré sur la Rochelle et ses environs, les trois auteurs mettent en lumière l’importance de la ville et des dépôts environnants dans l’établissement de cette ligne de communication. 
Différentes implantations rochelaises et environnantes sont présentées au lecteur : la caserne Aufrédy, en centre ville, abrita notamment le quartier général de la Base Section de l’US Army in Europe Communication Zone (USAREUR COM-Z). Un important chapitre est consacré au camp de Croix Chapeau, situé à une quinzaine de kilomètres au Sud-Est de la Rochelle, puisqu’il accueillit un important dépôt médical ainsi qu’un hôpital américain, prenant le relais de celui de la caserne Aufrédy devenu insuffisant. Outre les dépôts de carburants, de munitions, de vivres et de matériels, il importait en effet à l’US Army d’implanter une ligne sanitaire en France, qui aurait constitué une base arrière tout indiquée où rapatrier les blessés en cas de conflit. A l’instar d’autres camps et bases aériennes US en France à cette époque, le camp de Croix Chapeau était doté de toutes les infrastructures dignes de l’American way of life et qui faisaient baver d’envie les Français : bowling, PX, snack-bar, cinéma… Les auteurs reviennent largement sur ces aspects sociaux, ainsi que sur les problématiques locales plus matérielles (crise du logement, péril automobile, prostitution, opposition communiste…) et culturelles (cinéma, jazz et rock’and roll) inhérentes à toute implantation d’une garnison américaine en France à cette époque.

La présentation des exercices de débarquements ODEX et NODEX, réalisés à l’occasion de grandes manoeuvres automnales, est très intéressante également. Ces manoeuvres se devaient d’être des démonstrations de puissance et de technologie à l’intention des alliés de l’OTAN. Les auteurs présentent ainsi le déroulement de plusieurs de ces grands exercices de débarquement, ainsi que les techniques et matériels spécifiques et hautement sophistiqués mis en oeuvre par l’armée américaine, comme d’impressionnants véhicules amphibies. Quelques photos rares viennent étayer le propos des trois auteurs (54 illustrations en noir et blanc sont disséminées au gré des 200 pages du livre).

Si la cité de Lagord et la caserne de Laleu, jouxtant l’aérodrome, sont évoquées, les auteurs ne détaillent cependant pas quelles activités américaines y avaient lieu. Même constat pour la caserne Jeumont, proche du port de La Pallice. D’ailleurs, un plan de la ville situant ces différentes implantations américaines aurait été bienvenu et aurait aidé les lecteurs - surtout ceux qui ne sont pas de la région - à se représenter le dispositif américain à La Rochelle. Quant au camp de Croix Chapeau, si une vue aérienne et un plan sont bien intégrés à l’ouvrage, le lecteur découvre un peu tard cette aide à la représentation mentale de ce qu’était ce camp ultra-moderne, alors que de nombreuses descriptions sur les différents infrastructures du camp ont déjà eu lieu plus tôt dans le texte. Enfin, le plan de Croix Chapeau fait état d’une bande d’atterrissage de 1200 mètres bordant l’hôpital, à l’usage d’avions de liaison et d’appareils sanitaires. Si de telles bandes d’atterrissage en herbe et sommairement aménagées étaient fréquentes dans les camps de l’US Army en France et en Allemagne, on peut cependant émettre des doutes sur sa longueur réelle, le camp ne faisant pour sa part que 650 mètres de côté.

Enfin, on peut s’étonner que l’étude s’arrête à 1964, année annoncée du retrait des militaires US de la Rochelle, alors que ce n’est qu’en mars 1966 que le général de Gaulle avait demandé le départ définitif de toutes les troupes américaines et canadiennes du sol français. La réponse à cette question sera peut-être fournie par l’ouvrage suivant signé par les trois auteurs. Publiée en 2006, cette étude de 200 pages fait en effet partie d’une série sur l’histoire de la Rochelle à différentes époques. Deux de ses auteurs avaient publié  précédemment La Rochelle au quotidien sous la botte allemande - juin 1940, en 2004. 
En 2008, le contenu de La Rochelle à l’heure américaine fut repris et étoffé par ses trois auteurs, pour aboutir à un nouvel opus traitant cette fois le sujet jusqu’au retrait français du commandement intégré de l’OTAN en 1967. Ce livre, intitulé La Rochelle, base américaine de l’OTAN 1950 - 1967, fait l’objet d’une recension séparée.

4e de couverture de La Rochelle à l'heure américaine, 1950 - 1964.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire